« Précisions jurisprudentielles sur le droit des sociétés civiles » – Etude de M. Bernard JADAUD –

1 – Validité du cautionnement accordé par décision des associés

Le problème est trop important pour être passé sous silence. Le schéma, classique, est celui du cautionnement donné par une SCI en garantie de l’exécution des engagements pris par une société commerciale, la communauté d’intérêts s’établissant, généralement, par une quasi-identité des associés et par le fait que la SCI loue à la société commerciale les locaux dont elle est propriétaire. Les statuts de la SCI ne prévoient pas toujours le cautionnement en tant qu’élément de l’objet social.

La première Chambre civile de la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 1er février 2000, que « si le cautionnement donné par une société n’entre pas directement dans son objet social, ce cautionnement est néanmoins valable lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la société cautionnée ». Cet arrêt reprend, mais dans une autre formulation, la solution qu’elle avait déjà affirmée dans un arrêt du 15 mai 1988.

La Chambre commerciale de la Cour de Cassation a, pour sa part, admis, dans un arrêt du 28 mars 2000, que le cautionnement d’une SCI donné par le gérant avec l’autorisation de « l’unanimité des associés exprimée au cours d’une assemblée générale extraordinaire était valable ». La SCI avait fait valoir que ce cautionnement, sans doute prévu par l’objet social, était contraire à l’intérêt social. La Cour d’appel, comme la décision ci-dessus évoquée, avait relevé la communauté d’intérêts entre la société caution et la société débitrice principale, du seul fait de l’identité partielle des associés. La Chambre commerciale de la Cour de cassation n’insiste pas sur ce point. Elle se contente de relever que, « dès lors qu’il n’était pas allégué que le cautionnement de la SCI était contraire à son intérêt social », le cautionnement accordé avec l’accord de tous les associés était valable.

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La référence à l’intérêt social pose problème. Devant la Cour suprême, on soulignait que l’intérêt social ne se confond pas avec les intérêts individuels des associés ni même avec la somme de ceux-ci. Cette discussion sous-entend que la personnalité morale de la société fait écran et qu’il faut dissocier l’intérêt de la société et l’intérêt des associés.

Autrement dit, la communauté d’associés et des intérêts des associés peut exister, mais l’intérêt social doit être appréhendé indépendamment de cette communauté d’intérêts.

C’est là qu’apparaît la différence d’appréciation de la situation par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. A lire l’arrêt, on peut penser qu’elle eut pu déclarer nul le cautionnement donné à l’unanimité des associés, conformément à l’objet social, mais qui aurait été contraire à l’intérêt social.

C’est en ce sens que s’était prononcée la troisième Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 mars 1998. Elle avait confirmé la nullité d’un cautionnement hypothécaire aux motifs qu’il avait été « donné sans contrepartie immédiate pour la SCI et pouvait avoir pour conséquence d’anéantir la totalité du patrimoine et que l’autorisation ainsi donnée avait pour seul but d’avantager la société anonyme » cautionnée.

On constate ainsi une différence d’appréciation de la validité du cautionnement donné par une SCI au profit d’une autre société. Valable pour la première Chambre civile dès lors qu’il existe une communauté d’intérêts entre les associés des deux sociétés, la personnalité morale des sociétés étant translucide, il n’est pas valable pour la troisième Chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation dès lors que, nonobstant la communauté des intérêts des associés, il ne serait pas conforme à l’intérêt social.

L’intérêt objectif de la société caution l’emporte sur les intérêts subjectifs des associés.

Source : CRIDON-PARIS, 15 mars 2001, II page 127