CASS. CIV. 3è., 11 juillet 2001

La cour d’appel a souverainement relevé que les troubles occasionnés par la présence d’un centre d’accueil des toxicomanes causaient aux copropriétaires de l’immeuble un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage.

C’est à bon droit qu’elle a retenu que l’objectif de santé publique poursuivi par l’association locataire était sans incidence sur les obligations de voisinage mises à la charge de celle-ci et de son bailleur.

Note de Mme LAPORTE-LECONTE :

La lutte contre la toxicomanie suppose une certaine accessibilité et une proximité urbaine des centres d’accueil. La cohabitation de ces établissements avec les résidents des immeubles voisins ne se fait cependant pas sans heurts.

C’est au sujet de la location d’un lot de copropriété à un tel centre que la chambre civile de la Cour de cassation a dû s’interroger sur l’existence d’une responsabilité pour troubles anormaux de voisinage imputée tant à l’association locataire qu’à son bailleur.

Construction prétorienne séculaire (Cass. Civ. 27 novembre 1844), la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est fondée sur le principe général selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » et engage automatiquement la responsabilité du propriétaire lorsque le dommage subi par les voisins dépasse le seuil de tolérance.

Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une responsabilité dite objective, indépendante du caractère fautif de l’auteur du trouble, engagée du seul fait de la gravité du préjudice causé. L’arrêt du 11 juillet 2001 permet de revenir sur la notion de trouble anormal et sur les responsabilités susceptibles d’être engagées.

S’agissant de l’anormalité du trouble, notion de pur fait, elle dépend du contexte géographique et humain dans lequel il se situe et est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation, le pourvoi reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas démontré le caractère illicite, sinon infractionnel des atteintes portées aux voisins. C’est fort justement que les juges du droit ne retiennent pas cette exigence supplémentaire dans l’appréciation du trouble et considèrent que les éléments rapportés attestent du caractère excessif et « manifestement illicite » des inconvénients supportés par les résidents de l’immeuble. Les allées et venues des membres du centre, l’occupation des parties communes, la présence de chiens menaçants, de seringues usagées, les injures proférées à l’égard du gardien et de certains copropriétaires étaient de nature à créer un évident climat d’insécurité et à engendrer une dégradation des lieux, difficilement tolérables. Les dommages retenus concernaient ainsi tant la personne des voisins, que la propriété elle-même, dépréciée dans sa valeur du fait de la présence de l’association. Le seuil de tolérance étant clairement dépassé, le caractère infractionnel des actes imputables aux membres du centre n’avait nullement besoin d’être caractérisé.

S’agissant des responsabilités engagées dans l’arrêt, la solution est également classique, le propriétaire comme le locataire sont débiteurs de l’obligation de voisinage : le locataire en tant qu’auteur du trouble, le propriétaire en sa qualité de garant du fait du preneur.

Source : AJDI, 2002 n° 2 page 123