C.J.C.E. 9 mars 1999

Le 18 mai 1992, deux danois, M. Et Mme BRYDE, ont enregistré une société à responsabilité limitée au Royaume-Uni, la société CENTROS, dans le but délibéré d’échapper à la législation danoise qui exigeait un capital social plus important (200.000 couronnes danoises au lieu de 1.000 au Royaume-Uni).

Au cours de l’été 1992, ils créent au Danemark une succursale que la Direction générale du commerce et des sociétés refuse d’enregistrer, au motif que la société CENTROS n’exerçait aucune activité commerciale au Royaume-Uni et que ses dirigeants cherchaient en fait à créer au Danemark leur établissement principal en éludant les règles danoises en matière de constitution de sociétés.

La société CENTROS soutenait au contraire que, dès lors qu’elle avait été légalement constituée au Royaume-Uni, elle était en droit de constituer une succursale au Danemark en vertu de l’article 52, lu en combinaison avec l’article 58 des traités.

Face à ce refus d’immatriculation, la société CENTROS a alors introduit un recours devant l’Ostre Landsret (tribunal danois) à l’encontre de la décision de refus des autorités danoises.

Ce tribunal ayant donné raison à la Direction générale du commerce et des sociétés dans un arrêt en date du 8 septembre 1995, la société CENTROS a saisi la Cour suprême danoise qui a décidé de surseoir à statuer, afin de demander à la Cour de Justice des Communautés Européennes, sur la base de la procédure de l’article 177 du traité, si le fait de constituer une société dans l’Etat membre aux règles les plus souples ne constitue pas un abus du droit à la liberté d’établissement.

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La Cour de Justice s’est prononcée, le 9 mars 1999, en faveur de la société CENTROS en jugeant que « les articles 52 et 58 du traité CE s’opposent à ce qu’un Etat membre refuse l’immatriculation d’une succursale d’une société constituée en conformité avec la législation d’un autre Etat membre dans lequel elle a son siège sans y exercer d’activités commerciales lorsque la succursale est destinée à permettre à la société en cause d’exercer l’ensemble de son activité dans l’Etat où cette succursale sera constituée, en évitant d’y constituer une société et en éludant ainsi l’application des règles de constitution de sociétés qui y sont plus contraignantes en matière de libération d’un capital social minimal ».

Pour arriver à cette solution, la Cour de Justice a tout d’abord considéré, contrairement à ce que soutenaient les autorités danoises, que la situation selon laquelle une société constituée conformément au droit d’un Etat membre, dans lequel elle a son siège statutaire et qui désire créer une succursale dans un autre Etat membre, relève bien du droit communautaire.

La Cour va en déduire logiquement que la création d’une succursale au Danemark par la société CENTROS relève bien de la liberté d’établissement, et qu’à ce titre, elle jouit de la pleine application des articles 52 et 58 du traité. Le fait d’interdire l’immatriculation d’une succursale d’une société ayant son siège dans un autre Etat membre contrevient donc à la lettre même des articles précités et constitue une entrave à l’exercice de la liberté d’établissement garantie par les dispositions précitées.

Il est sans importance à cet égard que la société en question n’ait été constituée dans le premier Etat membre qu’en vue de s’établir dans le second où serait exercé l’essentiel, voire l’ensemble, de ses activités économiques.

Source : Droit et Patrimoine, août 1999 page 97