Etude de Mme Rozen NOGUELLOU

Les cahiers des charges des lotissements.

La loi ALUR du 24 mars 2014 a profondément modifié le régime juridique du lotissement.

L’intention du législateur était, selon les termes mêmes de la loi, de « mobiliser les terrains issus du lotissement« , c’est-à-dire de permettre la densification des zones pavillonnaires situées dans de tels secteurs.

Estimant que les obstacles à cette densification se trouvaient principalement dans les règles applicables dans les lotissements, le législateur a fait le choix d’en imposer la transformation, voire la disparition.

Il a ainsi posé le principe de la caducité obligatoire du règlement du lotissement au bout de dix ans, mais, de manière plus originale, il s’est également attaqué au cahier des charges.

Le cahier des charges a toujours eu un statut complexe.

Depuis qu’il ne fait plus l’objet d’une approbation administrative, il est considéré comme un acte contractuel, ne liant que les colotis et n’intéressant donc pas, en principe, l’Administration.

Il n’a d’ailleurs pas à lui être transmis lors des demandes de permis d’aménager.

Pour autant, le Conseil d’État avait admis que la procédure de modification administrative des règles du lotissement avait également vocation à s’appliquer aux « clauses réglementaires » du cahier des charges du lotissement (CE, 10 mars 1989).

Cette distinction entre diverses clauses du cahier des charges du lotissement est consacrée par la loi ALUR qui va même plus loin et impose de différencier trois types de clauses :

– les clauses réglementaires des cahiers des charges, qui sont désormais assimilées, pour leur régime juridique, au règlement du lotissement.

Elles peuvent donc être modifiées à la demande de la majorité des colotis, les règles de majorité ayant d’ailleurs été modifiées par la loi ALUR (on est passé à une majorité des 2/3 des colotis représentant la moitié de la surface du lotissement, ou de la moitié des colotis, représentant les 2/3 de cette surface), elles peuvent l’être de manière unilatérale, par décision de l’Administration, elles sont, surtout, régies par le nouveau principe de caducité après dix ans. 

Cela signifie que pour les lotissements qui avaient dix ans à la date de publication de la loi ALUR, tant le règlement du lotissement que les « clauses réglementaires » du cahier des charges sont considérés comme caducs.

La question qui se pose est naturellement de savoir ce qu’il convient d’entendre par « clause réglementaire » du cahier des charges.

Cela recouvre sans doute toutes les clauses que l’on aurait pu retrouver dans le règlement 

du lotissement, mais il est évident que des problèmes d’interprétation se poseront.

– la deuxième catégorie de clauses qui est identifiée correspond aux clauses « non réglementaires ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble« .

Ces clauses cessent de produire leurs effets « dans le délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi ALUR si ce cahier des charges n’a pas fait l’objet avant l’expiration de ce délai d’une publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier« .

Est ainsi posé un principe de caducité au bout de cinq ans, dont le champ d’application paraît particulièrement large.

Sans doute les dispositions des cahiers des charges « ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire » auront-elles, le plus souvent, un caractère réglementaire et seront alors visées par la caducité au bout de dix ans.

Mais la loi vise également les dispositions des cahiers des charges qui affecteraient « l’usage ou la destination de l’immeuble » : la plupart des clauses d’un cahier des charges ayant un tel effet, on ne voit pas trop ce qui demeure hors du champ de ce dispositif, mis à part, sans doute, les éventuelles dispositions des cahiers des charges relatives à l’utilisation d’équipements communs.

Là encore, le juge aura certainement à se prononcer sur le périmètre de cette notion.

La loi prévoit la possibilité pour les colotis de s’opposer à la disparition de telles dispositions : il faut, pour cela, que le cahier des charges ait fait l’objet avant l’expiration du délai de cinq ans suivant la publication de la loi ALUR d’une « publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier« .

On peut s’étonner de la référence qui est faite au bureau des hypothèques, lequel a disparu au profit du service de la publicité foncière.

On relèvera surtout que la publication ainsi visée doit avoir été décidée « par les colotis conformément à la majorité définie à l’article L. 442-10« , c’est-à-dire conformément aux nouvelles règles de majorité posées par la loi ALUR.

Cela semble impliquer qu’une publication qui aurait été réalisée antérieurement, mais qui n’aurait pas été décidée par cette majorité de colotis, ne satisferait pas à l’obligation ainsi posée et ne permettrait pas de « sauver » ces dispositions d’un cahier des charges.

– restent enfin les « autres » clauses des cahiers des charges, les seules qui sortent indemnes de la loi ALUR.

On a toutefois indiqué qu’elles ne devraient pas être très nombreuses et qu’elles pourraient même ne pas exister du tout dans certains lotissements.

Au-delà des problèmes d’interprétation que ces dispositions ne manqueront pas de poser, la loi soulève diverses questions.

On peut d’abord s’étonner de voir que le législateur n’a pas touché à l’alinéa de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme, qui dispose que : « Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes« .

Est-ce à dire que les dispositions des cahiers des charges frappées de caducité par l’effet de la loi ALUR continueraient, en revanche, à régir les rapports des colotis entre eux ?

Mais alors quel était l’intérêt de la loi ?

Le cahier des charges n’était, en toute hypothèse, pas opposable aux demandes de permis de construire et n’était susceptible d’être sanctionné que devant le juge judiciaire.

La situation ne serait-elle pas modifiée et pourrait-on admettre que le juge judiciaire, saisi par un coloti mécontent de la violation de clauses pourtant réputées caduques du cahier des charges, ordonne la démolition de la construction ?

Sans doute pas, la caducité paraissant s’imposer au juge judiciaire, mais il aurait été préférable de ne pas laisser cet alinéa relatif aux effets entre colotis du cahier des charges.

Par ailleurs, il convient de relever que la loi ALUR a précisé que la possibilité laissée à l’Administration de modifier d’office les documents du lotissement s’appliquait aux cahiers des charges, que ceux-ci aient été approuvés ou non : « lorsque l’approbation d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu intervient postérieurement au permis d’aménager un lotissement ou à la décision de non-opposition à une déclaration préalable, l’autorité compétente peut, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du Code de l’environnement et délibération du conseil municipal, modifier tout ou partie des documents du lotissement, et notamment le règlement et le cahier des charges, qu’il soit approuvé ou non approuvé, pour mettre en concordance ces documents avec le plan local d’urbanisme ou le document d’urbanisme en tenant lieu, au regard notamment de la densité maximale de construction résultant de l’application de l’ensemble des règles du document d’urbanisme » (C. urb., art. L. 442-11).

Par l’ensemble de ces dispositions, le législateur organise donc une immixtion brutale dans un rapport contractuel de droit privé, portant atteinte de manière substantielle au droit de propriété (car après tout, on peut avoir acheté un bien dans un lotissement justement en raison des clauses restrictives du droit de construire d’un cahier des charges que l’on pensait intouchable).

On aurait pu souhaiter que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question ; il le sera sans doute lors des litiges qui ne manqueront pas de naître.

Source : Dt. adm., 11/14, page 3