ETUDE de Mme Anne PENNEAU

Le contentieux relatif au trouble anormal du voisinage ne cesse de croître.

La jurisprudence récente n’a de cesse de mettre en exergue la spécificité de ces troubles dont la nature varie au gré des espèces. Plus spécifiquement, 2005 fut une année féconde concernant le cas du maître de l’ouvrage d’une construction qui se trouve être à l’origine d’une telle nuisance.

Le préjudice de perte d’ensoleillement et de vue est considéré comme justement entré dans les motifs d’un arrêt de la Cour d’appel, dans une espèce où des propriétaires d’une villa et d’un appartement critiquaient l’édification d’un immeuble de six étages sur un fonds voisin (Cass. 3e civ., 14 janv. 2004).

La protection contre les troubles du voisinage n’est pas exclusivement conditionnée par le respect des prescriptions figurant aux articles 678 et 679 du Code civil pourtant consacrés aux vues sur la propriété de son voisin.

En revanche, dans une espèce où les juges avaient constaté que la perte d’une vue sur la mer affectait un fonds appartenant à un lotissement dont le règlement permettait de nouvelles constructions, le rejet de la demande du propriétaire lésé a été approuvé par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 8 juin 2004).

On remarquera que, dans cette dernière décision, la victime demandait la démolition de l’une des constructions qui la privait de sa vue sur la mer et se fondait exclusivement sur ce chef de préjudice.

Dans l’arrêt du 14 janvier 2004, les victimes s’étaient appuyées sur un ensemble de nuisances liées à la nouvelle construction débouchant sur une dépréciation de la valeur de leur bien estimée à 25 %.

Elles demandaient réparation sous la simple forme de dommages-intérêts.

Autant de paramètres qui tendent à montrer que l’invocation de la perte de vue ou d’ensoleillement comme trouble anormal de voisinage suppose, pour l’instant, quelques précautions.

Il en va de même en ce qui concerne la vue inesthétique imposée au voisinage.

La Cour de cassation a récemment rappelé la possibilité qu’elle constitue un trouble anormal (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005), en considérant que les juges du fond ont caractérisé un tel trouble en constatant « des dépôts ou stationnements prolongés de matériels hors d’usage ou usagés à proximité du fonds voisin » par un exploitant agricole.

Rappelant ainsi au passage le critère général de la continuité du trouble (sur lequel Cass. 2e civ., 5 févr. 2005), cette décision prend en considération l’incidente contextuelle relevée par la Cour d’appel qui tenait, en l’espèce, au fait que la taille de la propriété de l’auteur du trouble lui permettait sans difficulté de stocker ses biens dans un endroit plus éloigné de la vue de ses voisins.

Ces éléments sont manifestement aujourd’hui importants pour le succès d’une action reposant sur l’argument esthétique dont la consécration par le droit positif est récente.

L’arrêt précité du 24 février 2005 a, d’un autre côté, spécialement retenu l’attention de la doctrine par le fait qu’il consolide la tendance de la jurisprudence à reconnaître comme un trouble anormal du voisinage le risque créé pour la santé ou la sécurité des personnes.

On voit ici comment la théorie des troubles anormaux du voisinage échappe, dans une certaine mesure, aux canons du droit de la responsabilité qui assume plus naturellement une fonction de réparation du dommage qu’une fonction de prévention.

Les travaux effectués sur un fonds peuvent être l’occasion de multiples dommages plus ou moins temporaires causés au voisinage.

Il peut effectivement s’agir de la nouvelle situation respective des deux fonds (voir supra, n°s 1 et 2) ou de la gêne occasionnée par le déroulement des travaux en lui-même (accessibilité du fonds, bruit), mais aussi des conséquences produites par ces travaux sur la construction voisine (inondation, fissures).

Les victimes peuvent attraire en justice aussi bien le maître de l’ouvrage que les constructeurs, solidairement ou séparément.

La responsabilité en question est une « responsabilité de plein droit » qui ne suppose en rien la démonstration de la faute du constructeur.

La victime peut actionner tout constructeur dont l’action causale dans la réalisation du dommage peut être démontrée.

A ce titre, il est possible d’envisager la responsabilité des entrepreneurs pour ce qui résulte de l’exécution des travaux et la responsabilité de l’architecte pour ce qui relève de ses missions de conception et de surveillance.

Lorsque la relation causale est établie, il semble que, même à l’égard de l’architecte, la victime n’a pas à prouver une faute quelconque.

Celle-ci ne resurgit, le cas échéant, que dans le cadre des recours récursoires en garantie entre les constructeurs (voir Cass. 3e civ., 25 mai 2005 ; Cass. 3e civ. 7 juill. 2005).

Si le contrat prévoit que l’un des entrepreneurs est le mandataire commun des autres vis-à-vis du maître de l’ouvrage, cette clause produira tous ses effets en cas de condamnation pour trouble anormal de voisinage.

Source : Revue Lamy Droit Civil, n° 23, page 15