ETUDE DE Me BERGER-PICQ

Principe : l’activité économique débute avec les premières dépenses

Le principe de neutralité de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) induit celui de la déductibilité de la taxe supportée en amont. La Cour de Justice des Communautés européennes a tiré de ce principe la conséquence que les premières dépenses d’investissement effectuées pour les besoins et en vue d’une entreprise doivent être considérées comme s’inscrivant le cadre des activités économiques.

Ce serait fausser la neutralité que de considérer que lesdites activités ne débutent qu’au moment où un bien immeuble est effectivement exploité, c’est-à-dire où le revenu taxable prend naissance (CJCE 14 février 1985 aff. Rompelman). Par conséquent, le droit à déduction existe et peut être exercé avant même tout commencement d’activité, dès lors bien entendu que l’intention de l’assujetti de se livrer à cette activité ne fait pas de doute.

La Cour de Justice des Communautés européennes est allée plus loin encore en jugeant qu’il n’est pas possible pour une administration ayant admis qu’une personne a l’intention de réaliser une activité économique et donc, lui a reconnu la qualité d’assujetti à la TVA, de lui retirer cette qualité rétroactivement, lorsque le projet est finalement abandonné avant d’être entré dans sa phase d’exécution (CJCE 29 février 1996 ; CJCE 15 janvier 1998). L’Administration a commenté ces arrêts dans une instruction 3 D-4-99 du 28 septembre 1999, admettant expressément que, dès lors que la qualité d’assujetti est reconnue, le droit à déduction naît immédiatement, sans qu’il soit besoin d’attendre la réalisation effective d’opérations taxables, et ne peut pas être retirée de façon rétroactive au cas où aucune opération ne serait finalement réalisée.

Cas particulier des bailleurs d’immeubles

L’activité des bailleurs d’immeubles n’échappe pas aux règles qui viennent d’être rappelées, mais à ceci de particulier que, pour générer des loyers ouvrant droit à déduction, elle implique très souvent la formulation d’une option pour la taxation de ces loyers à la TVA.

Lorsque la location de l’immeuble n’est taxable à la TVA que par option, la déductibilité de la TVA grevant les dépenses de l’immeuble n’est admise qu’à la condition expresse que l’option ait été valablement formulée et produise ses effets.

Or, la possibilité d’opter avant même d’avoir trouvé des locataires suscite des difficultés. En effet, la doctrine administrative réserve la faculté d’opter pour la taxation des loyers aux personnes pouvant produire « un bail afférent à tout ou partie de l’immeuble loué« , ou « tout document écrit qui, sans prendre la forme d’un bail, permet au bailleur de justifier la réalité des liens juridiques noués avec un preneur à partir d’une date déterminée » (D. adm. 3 A 513 n° 2, 20 octobre 1999).

L’apport d’une décision récente du Tribunal Administratif de Paris

Le juge des référés du Tribunal Administratif de Paris vient de décider, par une ordonnance rendue le 19 décembre 2003, que lorsqu’un immeuble ayant fait l’objet d’une option pour la taxation volontaire des loyers est partiellement occupé, le droit à déduction du bailleur est plein et entier, sans qu’il y ait lieu d’attendre l’occupation totale de l’immeuble.

Cette conclusion avait déjà été adoptée par le Conseil d’Etat de longue date puisque dans un arrêt rendu en formation plénière le 21 décembre 1979, la Haute Assemblée a jugé que la totalité de l’immeuble construit par la société « étant destinée à la location industrielle et commerciale et l’ensemble des loyers perçus et à percevoir étant soumis, par option, à la TVA, la société devait obtenir le remboursement de la totalité des taxes ayant grevé la construction dès la mise en location de l’immeuble et sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les parties de l’immeuble déjà louées à la date de la demande de remboursement et celles qui, offertes à la location n’avaient pas encore trouvé preneur à cette date« .

L’analyse du juge des référés

L’affaire tranchée concernait un bailleur ayant régulièrement opté pour la taxation volontaire des loyers à la TVA qui disposait d’un immeuble partiellement occupé à la date à laquelle il avait présenté une demande de remboursement de crédit de taxe (des contrats avaient été conclus afin de rechercher des occupants pour combler les locaux vacants).

L’administration fiscale considérait que la TVA ayant grevé l’acquisition de cet immeuble n’était déductible qu’à proportion des superficies effectivement occupées par des locataires ; elle estimait que l’option pour la taxation des loyers à la TVA ne pouvait avoir été valablement formulée qu’à raison des locaux objet d’un bail.

Elle concluait ainsi au rejet d’une partie de la demande de remboursement. Le bailleur avait alors attaqué cette décision au fond et avait en outre réclamé l’attribution d’une provision en référé, sur le fondement de l’article R 541-1 du Code de justice administrative. La réponse apportée par le juge des référés est très claire.

Le sort encore incertain des locaux sans occupants

Reste en suspens la question de savoir si la TVA grevant les dépenses d’un immeuble destiné à la location, mais qui n’est pas encore occupé par le moindre locataire, est déductible sans attendre de trouver un ou des locataires.

La doctrine administrative susvisée semble s’y opposer, à moins qu’une promesse de bail, sur au moins une partie des locaux, ne soit conclue. Des arguments permettent pourtant, de prétendre que l’option de l’article 260, 2° du CGI est possible, même en l’absence de bail ou de promesse de bail. Attendre les locataires pour pouvoir opter et donc, déduire la TVA d’amont, semble contraire à la jurisprudence communautaire évoquée précédemment. Notamment, l’arrêt Rompelman de la CJCE rappelle que la TVA est une charge dont les assujettis doivent être déchargés le plus rapidement possible.

Dès lors que la validité de l’option implique la rédaction d’une lettre expresse, ne pourrait-on pas considérer que cette formalité manifeste de façon suffisamment explicite la volonté de l’opérateur de donner son immeuble en location sous le régime de la TVA ?

En tout cas, s’agissant d’une société foncière, ayant précisément pour objet de donner des immeubles en location, il semble que la déclaration d’existence de la société, accompagnée de lettre d’option de l’article 260, 2° du CGI devrait être suffisante pour reconnaître la qualité d’assujetti récupérateur au futur bailleur et admettre ainsi, sans attendre la conclusion d’un bail ou d’une promesse de bail, son droit de déduire la taxe grevant les dépenses afférentes à son immeuble.

Source : F.R.F.L. 2004 n° 23 page 16