ETUDE de M. Pierre-Michel LE CORRE

Le bailleur, afin de se préserver des conséquences de l’inexécution par le locataire de ses obligations, prévoit le plus souvent un dépôt de garantie.

Il s’agit d’une forme de gage-espèces, dont le montant, lorsque les obligations sont correctement exécutées, doit être restitué au débiteur, constituant.

Peut-il être conservé en cas de redressement ou de liquidation judiciaire ?

Le plus souvent, lorsque s’ouvre la procédure collective du locataire, ce dernier est resté débiteur de loyers et charges antérieurs audit jugement.

Parfois, que le locataire soit ou non à jour de ses obligations à la date du jugement d’ouverture, sa trésorerie insuffisante pendant la période d’observation le conduit à laisser impayées certaines sommes qui correspondent à des créances postérieures, et dont le non-paiement peut aboutir à la résiliation du bail, entraînant par voie de conséquence, la conversion du redressement en liquidation judiciaire.

On comprend, dans ce contexte, que la tentation soit grande pour le bailleur de s’approprier immédiatement le dépôt de garantie pour le compenser avec des créances qu’il détient sur le locataire.

Dans ce cas, comment doit s’effectuer l’imputation ? Est-ce d’abord sur les dettes les plus anciennes ou est-ce sur les dettes nées après le jugement d’ouverture ?

– Si le bailleur ne reste titulaire que de créances antérieures au jugement d’ouverture, l’imputation devra se faire sur la créance la plus ancienne.

Le bailleur n’oubliera pas que, pour compenser sa dette avec une créance antérieure qu’il détient sur la personne en redressement ou en liquidation judiciaire, il devra impérativement déclarer sa créance au passif de son locataire (Cass. Com. 9 novembre 1988).

– Que décider si le bailleur est titulaire de créances nées avant le jugement d’ouverture et de créances nées après ledit jugement ?

Le Code Civil, auquel les règles du droit des procédures collectives ne dérogent pas ici, donne la réponse : lorsque plusieurs dettes compensables sont dues par une même personne, il y a lieu d’appliquer l’article 1296 du Code Civil, lequel renvoie aux dispositions de l’article 1256 du même code.

Or, selon cette dernière disposition, « le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d’intérêt d’acquitter entre celles qui lui sont pareillement échues« .

Il apparaît donc que la compensation doit d’abord porter sur les loyers postérieurs au jugement d’ouverture, l’intérêt du locataire étant d’éviter la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers, laquelle n’est envisageable que pour le non-paiement des loyers antérieurs (Cass. Com. 20 mars 2001).

A quelle condition la compensation d’une créance de loyers et charges peut-elle se compenser avec la créance de restitution du dépôt de garantie ?

La créance de restitution du dépôt de garantie ne devient exigible que par l’arrivée du terme du contrat ou sa résiliation.

Tant que la créance de restitution du dépôt de garantie n’est pas exigible, la compensation ne peut s’opérer (Cass. Com. 6 juin 1989).

En conséquence, ce n’est que parce que le contrat est arrivé à son terme ou est déjà résilié que la compensation peut jouer.

Dès lors, il ne peut être affirmé, pour le motif d’éviter la résiliation de son contrat, que le locataire a le plus d’intérêt à acquitter la dette postérieure au jugement d’ouverture puisque son non-paiements ne pourra pas entraîner la résiliation d’un contrat déjà à terme ou déjà résilié.

– Enfin, le bailleur peut être titulaire de créances toutes postérieures au jugement d’ouverture.

En ce cas, l’imputation se fera sur la créance la plus ancienne, si toutes les créances sont nées après l’option pour la continuation du contrat.

– Qu’en est-il, en revanche, si certaines créances postérieures au jugement d’ouverture sont postérieures à l’option de continuation du contrat, alors que d’autres sont antérieures à ladite option, c’est-à-dire comprises entre le jugement d’ouverture et l’option ?

Observons d’abord que la créance du bailleur née entre le jugement d’ouverture et l’option de continuation est couverte par l’article L. 621-32 du Code de Commerce (Cass. Com. 27 octobre 1998) et doit, comme telle, être payée à l’échéance.

Cependant, en droit commun, seules les créances nées après l’option de continuation, nous semblent, dans les prévisions de l’article L. 621-28 du Code de Commerce, justifier la résiliation du contrat.

En conséquence, ce sont bien ces dernières que le débiteur a le plus d’intérêt à acquitter pour éviter la résiliation du contrat.

Cette règle de droit commun paraît cependant devoir être écartée en matière de bail commercial, car l’article L. 621-29 du Code de Commerce, qui réglemente la résiliation du bail professionnel pour cause d’inexécution financière, ne fait pas de la continuation du contrat une condition du jeu de la résiliation.

En conséquence, il n’y a pas à distinguer selon que la créance du bailleur est née avant l’option de continuation ou après celle-ci. L’imputation se fera sur la plus ancienne.

Source : AJDI, Octobre 2003 page 657