ÉTUDE de M. Gabriel ROUJOU DE BOUBÉE

Le sort des constructions irrégulières dont la démolition n’a pas été ordonnée par le juge pénal.

Lorsqu’il prononce une condamnation pour infraction aux règles du permis de construire, le Tribunal correctionnel apprécie souverainement s’il y a lieu de prononcer également une condamnation à démolir ou à remettre en l’état et ceci, même dans l’hypothèse où cette condamnation aurait été sollicitée par l’administration (C. urb., art. L. 480-5).

Dans le cas où il ne prononce pas cette condamnation, et où sa décision a acquis l’autorité de la chose jugée, la construction litigieuse est pérennisée puisque plus aucune autorité ne peut plus décider sa destruction.

D’illégale qu’elle était, devient-elle, pour autant, légale ? La loi n’apporte aucune solution puisque l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme ne vise pas l’hypothèse dans laquelle la démolition a été refusée. En même temps, ce qui est plus surprenant, il ne paraissait pas exister de jurisprudence sur ce point alors que l’intérêt pratique de la question est considérable, notamment lorsque le constructeur vient à vendre : ainsi, doit-il informer l’acheteur du vice initial ?

La difficulté vient d’être soumise à la Cour d’appel d’Aix (Aix, 10 nov. 2011, n° 2011/668, inédit) dans une espèce tout à fait caractéristique : en 1981 un constructeur avait été condamné pour avoir, sans autorisation, édifié un local à usage de restaurant ; toutefois, les juges correctionnels avaient exclu la démolition aux motifs que « la construction en litige ne nuit pas à l’esthétique de l’environnement et s’intègre sans être disgracieuse dans les immeubles qui l’entourent, que, de plus, une décision de démolition reviendrait pratiquement à ordonner la fermeture de l’établissement et la cessation du commerce… » ; vingt-deux ans plus tard, le local est vendu et, quelques mois plus tard, l’acquéreur, craignant de ne pouvoir effectuer des aménagements indispensables, reproche au vendeur de ne pas l’avoir informé du défaut de permis initial, grief qui est retenu par la Cour : « Si la non-démolition de la partie illégale a permis aux époux L. [les vendeurs] d’exploiter un restaurant en d’autres temps, ce n’est plus possible aujourd’hui. Le profit tiré par les époux L. […] de la non-démolition, qui leur a évité de devoir fermer leur restaurant […] n’a pas créé de droit acquis et cessible d’exploiter indéfiniment et trente ans plus tard un restaurant dans une construction illégale […]. Il s’agit d’un défaut caché rendant le bien impropre à sa destination« .

En d’autres termes, et si l’on en revient aux sanctions établies par le Code de l’urbanisme, le vice initial affectant le bâtiment lui serait attaché à perpétuelle demeure : il le suivrait entre quelque main qu’il se trouve et il en serait ainsi jusqu’à la fin des temps. Outre ses inconvénients évidents, cette solution n’emporte pas forcément la conviction.
D’abord, elle s’inspire probablement de l’analyse faite à propos de l’obligation de démolir qui, effectivement prononcée et de manière définitive, se transmet en raison de son caractère réel et dont, bien évidemment, l’acquéreur doit être averti. Mais ici l’obligation de démolir a été expressément exclue ; il n’est donc pas question d’une quelconque transmission.

Ensuite, si l’on suit le raisonnement de la Cour d’Aix, la situation est sans issue : la construction est frappée d’une tare indélébile dont personne ne peut plus la relever, ni aujourd’hui, ni demain.

Enfin, il faut revenir à l’esprit qui inspire la démolition ou la mise en conformité : s’il s’agissait, seulement, de réprimer un manquement d’ordre purement administratif, ces sanctions (qui ne sont pas des peines) devraient être automatiques dès lors que ce manquement est établi ; or il n’en est rien, bien au contraire, puisque le tribunal apprécie leur nécessité ou leur opportunité ; s’il ne les prononce pas, c’est parce que leur raison d’être n’existe pas dans l’espèce considérée. Dans ces conditions, la logique conduit à penser que l’illégalité initiale se trouve effacée par la décision des juges correctionnels.

Ceci dit, il serait souhaitable qu’une disposition législative vienne trancher la difficulté.

Source : RDI, 7/8/12, page 406