COMMENTAIRE de M. Jérôme TREMEAU

Le reliquat d’un lotissement doit-il faire l’objet d’une autorisation de lotir ?

Le Conseil d’Etat a rendu le 26 janvier 2015 un arrêt très important (Ceglarec) pour la définition de l’entrée en lotissement.

Il tire toutes les conséquences de la réforme de cette opération d’aménagement, issue de l’ordonnance du 8 décembre 2005, applicable au 1er octobre 2007.

La solution dégagée demeure valable dans le régime actuel, qui résulte de l’ordonnance du 22 décembre 2011, et qui est en vigueur depuis le 1er mars 2012.

En premier lieu, l’arrêt Ceglarec confirme l’élargissement du champ du lotissement depuis le 1er octobre 2007.

En effet, la suppression des seuils, introduits par la réforme de 1977, conduit à ce que toute division, même si elle n’aboutit à créer qu’un seul lot à bâtir, relève désormais de cette qualification.

Cette solution avait déjà été dégagée dans un arrêt du 20 février 2013.

L’ordonnance du 22 décembre 2011 a, par la suite, confirmé cette interprétation, puisque l’article L. 442-1 du Code de l’urbanisme mentionne aujourd’hui que le lotissement peut avoir pour objet de détacher un seul lot, ce que réitère l’article L. 442-1-2, relatif au périmètre de cette opération.

De ce point de vue, l’entrée en lotissement est donc unifiée depuis le 1er octobre 2007.

En second lieu, l’arrêt se prononce aussi sur la question de l’assiette du lotissement.

Celle-ci se pose en des termes différents selon que l’on se place avant ou après le 1er octobre 2007.

Sous l’ancien régime, cette assiette s’imposait au pétitionnaire.

En effet, l’existence d’un seuil impliquait de définir objectivement le cadre de cette opération.

Celui-ci avait auparavant une importance primordiale, puisque c’est lui qui constituait le support pour déterminer si la division était ou non en franchise d’autorisation.

On comprend donc qu’il ne pouvait être laissé à la libre appréciation du diviseur, qui aurait beau jeu de restreindre le plus possible l’unité foncière de référence, afin de multiplier les divisions en deux (voire en quatre) exonérées de contrôle administratif.

Parce que nécessaire au décompte, la définition de l’assiette était donc d’ordre public.

Aussi, le juge administratif avait-il été conduit à définir l’entité foncière dans le cadre de laquelle doit être apprécié le nombre de divisions.

La nouvelle réglementation modifie la perspective.

Au contraire du système antérieur, il n’y a plus d’intérêt pour l’administration à déterminer un cadre de calcul, faute de seuil prévu par le Code ; symétriquement, le porteur du projet n’a plus aucun intérêt, aujourd’hui, à rechercher à augmenter le nombre d’unités foncières sur lesquelles il assoit son projet, dans la mesure où il n’échappera pas, quoi qu’il en soit, au régime du lotissement.

Consécutivement, rien ne s’oppose à ce que l’assiette du lotissement soit librement déterminée par le demandeur de l’autorisation.

Cette liberté résulte de la possibilité de ne lotir qu’une fraction de la propriété, ou, au contraire, de permettre à plusieurs propriétaires de se regrouper pour définir le cadre physique d’une autorisation de lotir.

L’admission du lotissement partiel, quelle que soit sa forme d’autorisation, ne fait pas difficulté, dans la mesure où elle résulte des textes mêmes du Code de l’urbanisme.

Ainsi, les articles R. 441-1 (« la demande peut ne porter que sur une partie d’une unité foncière ») et R. 441-4 (« dans le cas où la demande ne concerne pas la totalité de l’unité foncière« ) prévoient-ils une telle possibilité concernant le permis d’aménager.

Depuis le décret du 28 février2012, l’article R. 441-9 précise expressément que la déclaration préalable peut ne porter que sur une partie d’une unité foncière, mettant ainsi fin à toutes interrogations à ce sujet.

L’existence d’un lotissement partiel conduit nécessairement à s’interroger sur la gestion du reliquat de la propriété, en particulier lorsque, comme en l’espèce, le délai de dix ans était en vigueur, avant le 1er mars 2012.

L’ordonnance du 8 décembre 2005 avait maintenu un délai de dix ans, afin d’instituer une surveillance de la division sans intention initiale de bâtir.

En effet, lorsque la division a pour objet l’implantation de bâtiments, elle constitue immédiatement un lotissement, quel que soit le nombre de lots.

En revanche, si l’intention de construire était révélée postérieurement à la division (par exemple, volonté de profiter de l’opportunité d’une constructibilité nouvellement reconnue de terrains inconstructibles lors de la division), l’existence d’un délai permet d’assujettir à la réglementation du lotissement une opération qui n’était pas qualifiable comme telle à l’origine, mais qui en acquière les effets au cours du temps.

La question, dans la présente espèce, est de savoir si le reliquat devait intégrer le lotissement lorsqu’une intention de construire est révélée dans ce délai, notamment par le dépôt d’une demande de permis de construire.

Tirant toutes les conséquences de la possibilité d’un lotissement partiel, le Conseil d’État décide très logiquement que le reliquat ne peut être regardé comme relevant du lotissement initialement autorisé.

Il constitue donc une unité foncière autonome, sur laquelle un lotissement indépendant peut à son tour être créé, éventuellement.

On voit à quel point l’actuelle législation du lotissement est désormais éloignée de la notion de « lotissement rétroactif » que la jurisprudence avait pu dégager avant la réforme de 1977.

Cette solution est évidemment transposable, a fortiori, au droit positif, tel qu’il résulte de l’ordonnance du 22 décembre 2011.

La nouvelle rédaction de l’article L. 442-1 vise seulement la division d’une ou de plusieurs unités foncières « ayant pour objet d’en détacher un ou plusieurs lots destinés à être bâti« , et non plus les divisions ayant également cet effet ; consécutivement, elle ne mentionne plus le délai de dix ans.

Celui-ci devient en effet inutile, dès lors que l’intention de bâtir est appréciée à la date de la division.

Le lotissement apparaît maintenant comme une opération instantanée.

Cette suppression du lotissement-effet renforce évidemment l’idée selon laquelle des parcelles mises à l’écart de l’assiette d’un lotissement n’ont pas à être intégrées ultérieurement dans le périmètre.

Cela dit, se pose alors la question du rôle et de l’intérêt du R. 442-2.

Cet article, issu du décret du 28 février 2012, énonce que si une construction est édifiée sur une partie d’une unité foncière qui a fait l’objet d’une division, la demande de permis de construire peut tenir lieu de déclaration préalable de lotissement.

Dans la mesure où il est jugé que le reliquat n’a pas à être rattaché au lotissement précédemment créé, on voit mal pourquoi une déclaration préalable serait nécessaire.

La jurisprudence Ceglarec montre que l’article R. 442-2 est, au moins dans cette hypothèse, superfétatoire.

Source : BJDU, 3/15, page 178